G4 africain: en attente de l’annonce officielle, « l’idée en elle-même mérite d’être étudiée de près »

Par Kamal Laouadj
« En attendant l’annonce officielle, confirmant ou infirmant l’information, l’idée en elle-même mérite d’être étudiée de très près », affirme à Sputnik le politologue Riadh Sidaoui, directeur du Caraps à Genève, commentant les informations sur la création du groupe G4 par l’Algérie, le Nigeria, l’Éthiopie et l’Afrique du Sud au sein de l’UA.
Dans le sillage du sommet UE-Union africaine (UA), qui s’est tenu les 17 et 18 février à Bruxelles, des informations sont parues dans la presse internationale, concernant la création d’un groupe informel de quatre pays africains -surnommé le G4- qui serait constitué de l’Algérie, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie et enfin du Nigeria.
Selon RFI, qui cite un communiqué de la présidence nigériane, ce groupe a pour but de coordonner, analyser, concerter et trouver des solutions aux défis du continent en proposant un mécanisme stratégique qui vise à apporter des solutions « pratiques et efficaces » aux différents problèmes auxquels l’Afrique est confrontée.
Par ailleurs, un média marocain réputé proche du gouvernement, Le 360, a fait savoir que le royaume chérifien regardait d’un mauvais œil la création de ce supposé groupe informel, en raison de la présence de l’Algérie et de l’Afrique du Sud, connues pour leurs positions hostiles au Maroc sur le dossier du Sahara occidental.
Dans le même sens, le site d’information arabophone arabicpost.net diffusé depuis Istanbul, en Turquie, rapporte qu’un sommet tripartite prévu au Koweït entre le Président algérien et ses homologues égyptien et koweïtien n’avait pas eu lieu, en raison de la colère d’Abdel Fattah al-Sissi contre Abdelmadjid Tebboune concernant la création du groupe G4 et le dossier libyen. En effet, selon ce site, le chef de l’État égyptien a mal pris la rencontre qui s’est tenue à Doha, lors du sommet des pays exportateurs de gaz, entre le Président Tebboune et l’ex-Premier ministre libyen, Abdel Hamid Dbeibah, reconnu par la communauté internationale, alors que l’Égypte soutient son rival Fathi Bachagha.
Quels sont les résultats du sommet UE-UA? Les Africains peuvent-ils réellement compter sur l’UE pour les aider à se développer? Par ailleurs, quels sont les enjeux de la création du G4? Que peut-il apporter à la région? Pourquoi le Maroc s’y oppose en y voyant des intentions hostiles à ses intérêts? Quid également de l’Égypte? Cela a-t-il un lien avec les changements géopolitiques qui traversent le continent?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité Riadh Sidaoui, politologue et directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (Caraps) de Genève. Pour lui, « tout ce qui a été dit autour de ce supposé groupe du G4 n’est que de la spéculation médiatique, étant donné qu’aucun des quatre pays concernés -le Nigeria, l’Algérie, l’Afrique du Sud et l’Éthiopie- n’a communiqué officiellement sur ce sujet. À cet effet, il y a lieu de rappeler que contrairement à ce que beaucoup de médias ont rapporté, le Président Abdelmadjid Tebboune n’a même pas fait le déplacement à Bruxelles pour participer au sommet UE-UA, préférant se faire représenter par son chef de la diplomatie, Ramtane Lamamra. Concernant le soi-disant différend entre les Présidents algérien et égyptien il faut se demander à qui pourrait profiter une telle situation? Ainsi, il n’est pas très difficile d’imaginer pourquoi c’est un site d’information basé en Turquie qui a rapporté cette information ».

« L’Europe veut revenir en Afrique, tiendra-t-elle parole? »

« Après la réunification de l’Allemagne, la plupart des investisseurs européens se sont détournés de l’Afrique, réorientant massivement leurs investissements vers les pays de l’Europe de l’Est, notamment dans le sillage du démantèlement de l’Union soviétique », affirme M.Sidaoui, soulignant que « les pays africains, soumis à des taux d’endettement asphyxiants, ont vu la croissance de leurs économies régresser de manière dramatique ».
Et d’ajouter que « c’est dans ce contexte que d’autres puissances émergentes dans le monde, notamment asiatiques comme la Chine et l’Inde, ont occupé le vide laissé par les Européens. Cette phase a été très bénéfique aux Africains car beaucoup a été fait, en particulier par la Chine, dans le développement des infrastructures de base (routes, ponts, aéroports, ports, le transport ferroviaire, les écoles, les hôpitaux, l’exploitation des hydrocarbures et des autres ressources minières, etc). La Chine est également très présente en Afrique via ses entreprises industrielles, la formation universitaire, les technologies de l’information et la production de l’énergie ».
Dans cette optique, il estime qu’après « plusieurs décennies d’absence, l’Europe veut revenir en Afrique. Cependant une question se pose: pour quels objectifs, avec quels moyens et surtout tiendra-t-elle parole quant à ses promesses? En effet, l’UE promet 150 milliards d’euros d’investissements en Afrique d’ici 2030 dans les secteurs des énergies renouvelables, les transports, les infrastructures numériques, la santé et l’éducation. Néanmoins, plusieurs remarques s’imposent. En ce moment beaucoup de pays africains souffrent gravement de la sécheresse, du manque d’énergie électrique et de médicaments, notamment les vaccins anti-Covid-19. Or, les Européens veulent orienter les investissements vers les énergies vertes, hors nucléaire, ce qui ne permettra pas aux Africains d’avoir assez électricité pour faire tourner leurs économies et éventuellement faire du dessalement de l’eau de mer et produire de l’hydrogène liquide. A contrario, la Chine, la Russie et probablement l’Inde et l’Iran sont prêts à aider l’Afrique dans ce sens ».

Quid du G4 et des relations algéro-égyptiennes?

Concernant la création supposée du groupe informel G4 par l’Algérie, le Nigeria, l’Éthiopie et l’Afrique du Sud, Riadh Sidaoui estime qu’ »en attendant l’annonce officielle, confirmant ou infirmant l’information, l’idée en elle-même mérite d’être étudiée de très près, vu le poids de ces pays qui peuvent effectivement constituer un noyau dur à l’intérieur de l’UA capable d’insuffler dans un cadre de consultation plus large une politique panafricaine au profit de tous les États membres ».
En effet, M.Sidaoui rappelle dans ce sens que « l’Algérie, le plus grand pays du Maghreb, est un important producteur d’hydrocarbures, qui fournit l’Europe en gaz, et a l’une des plus grandes armées du bassin méditerranéen, d’Afrique (2e) et du monde arabe (3e). L’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Éthiopie ont également de grandes économies et disposent d’armées régionales très puissantes. Ainsi, avec l’Algérie sur le flanc méditerranéen, l’Afrique du Sud avec ses côtes sur les océans Indien et Atlantique, le Nigeria sur le flan du golfe de Guinée, et enfin l’Éthiopie dans la Corne de l’Afrique sur le flanc hautement stratégique du détroit de Bab el-Mandeb, sur le golfe d’Aden, ces quatre pays constituent effectivement un noyau militaro-économique capable de changer beaucoup de choses sur le continent africain. Si l’on ajoute leur coopération multidimensionnelle avec l’axe eurasiatique Moscou-Pékin-Téhéran, avec lequel l’Allemagne pourrait très probablement coopérer en Afrique, il est clair qu’en matière de politiques militaro-sécuritaires et de lutte anti-terroriste, d’investissements et de développement économique, ce quartet africain ne peut que susciter les craintes des Occidentaux, de la Turquie, d’Israël et de leurs alliés africains ».

Conclusion

Il est très peu probable, selon l’interlocuteur de Sputnik, que « les informations relayées sur la prétendue colère du Président Abdel Fattah al-Sissi contre son homologue algérien soient vraies et ce pour plusieurs raisons. La première est que le chef de l’État égyptien a quitté le Koweït alors que le Président Tebboune n’était pas encore arrivé dans ce pays, alors qu’il n’y avait aucune annonce officielle concernant cette prétendue rencontre tripartite. La deuxième est que les deux pays sont tenus de coopérer étroitement pour stabiliser la Libye, empêcher l’arrivée de mercenaires de Syrie et d’Irak via la Turquie et participer activement à la sécurisation du Sahel. Enfin, vu les capacités militaires et la position géographique hautement stratégique de l’Égypte, les pays du G4 ont tout intérêt à faire participer ce pays à leur groupe ».
Enfin, « il est tout à fait normal que le Maroc, qui ambitionne de devenir une grande puissance africaine, notamment en Afrique de l’Ouest, émette des réserves quant à la constitution de ce groupe G4. Néanmoins, les autorités de Rabat ne peuvent pas s’asseoir sur deux chaises en même temps, en continuant leurs accords avec Israël, l’Otan, la Turquie et les États-Unis, et espérer en même temps avoir une place parmi les pays qui ont décidé de se tourner vers la région eurasiatique », conclut-il.
Source: https://fr.sputniknews.africa/20220225/g4-africain-en-attente-de-lannonce-officielle-lidee-en-elle-meme-merite-detre-etudiee-de-pres-1055366245.html

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